L’estuaire de la Seine, l’invention d’un paysage

C’est en Normandie que la vogue des bains de mer est lancée par les Anglais qui avaient déjà découvert les bienfaits de la balnéothérapie à la fin du XVIIIe siècle. La mode se propage depuis Dieppe, fréquentée dès 1824 par la duchesse de Berry, vers le sud, le long de la côte d’Albâtre (Etretat, Sainte-Adresse) puis au-delà de la Seine. De nouvelles stations balnéaires sont créées sur la Côte fleurie à l’initiative de promoteurs immobiliers (Cabourg en 1853, Houlgate en 1854, Deauville en 1864…). Ces stations huppées, dotées de casinos, établissements de bains, champs de courses, attirent toute l’aristocratie et la haute bourgeoisie du Second Empire.

La présence sur la côte normande de cette clientèle fortunée ne pouvait qu’attirer les artistes. Ainsi, Boudin qui connaît des débuts difficiles, se met à peindre à partir de 1865 des « scènes de plage » qui trouvent vite acquéreurs. Pour satisfaire les amateurs de plus en plus nombreux, il réalise non seulement des peintures, mais aussi des aquarelles, plus rapidement achevées.

Courbet, à la même époque, est accueilli à Deauville chez le comte de Choiseul. Lui-même est un nageur expérimenté qui se baigne tous les jours. Maupassant le décrit tel un phoque nageant la pipe à la bouche par tous les temps. Parallèlement à ses « paysages de mer », il peint les portraits des « plus jolies femmes de Trouville » et des belles estivantes, qu’il vend très cher.

Monet, en quête d’une clientèle, prend exemple sur Boudin et s’installe à Trouville en 1870. C’est là qu’il peint des scènes de vie de la petite station balnéaire et sa femme, Camille, sur la plage. Les belles élégantes envahissent les toiles de Dubourg, Moullin, Corcos, Stevens… Mais les intrépides nageuses, aux prises avec les rouleaux de l’océan, retiennent l’attention d’autres. Toute cette atmosphère des stations balnéaires de la Côte fleurie se retrouvera exaltée plus tard dans les pages d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust.