L’estuaire de la Seine, l’invention d’un paysage

Aux sources de la création de l’image de la Normandie : le rôle des artistes britanniques et des artistes romantiques
La fin de l’Empire et la restauration de la monarchie en France en 1815 marquent un retour à la paix après l’épisode révolutionnaire et des années de guerres en Europe. La reprise des relations entre la France et l’Angleterre s’accompagne d’un retour des artistes britanniques sur le continent. Depuis les ports de Dieppe ou du Havre, la Seine est une voie d’accès naturelle pour Paris. L’histoire de la Normandie, royaume anglo-normand aux XIe et XIIe siècles, justifiait à elle seule l’intérêt des Anglais pour cette région.

Mais l’attrait de la Normandie se nourrit surtout du prestige de son patrimoine architectural à une période où l’on commence à s’intéresser à l’art du Moyen-âge. Les peintres anglais entraînent les jeunes romantiques dans leur fascination pour les vestiges de l’époque féodale : les églises gothiques (cathédrale et Saint-Maclou à Rouen…), abbayes et châteaux ruinés (Jumièges, Graville, Saint-Wandrille, Tancarville…). La diffusion de ce véritable répertoire des sites pittoresques normands est assurée par l’édition de nombreux livres illustrés de gravures en France et en Angleterre, comme celui de Turner (Wanderings by the Seine, 1834).

La publication des Français Taylor et Nodier, Les Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France, à partir de 1820, dont les deux premiers volumes sont consacrés à la Normandie, réunit des lithographies (technique de gravure inventée depuis peu) des plus grands artistes français et anglais de l’époque (Bonington, Géricault, Isabey…).

Parallèlement à ce goût pour les monuments anciens, les ruines, le pittoresque, les artistes romantiques empruntent aux Anglais un intérêt nouveau pour le paysage. Huet et Isabey qui vont à Londres au début des années 1820 ne tardent pas à prendre l’habitude de travailler sur le motif, même s’ils retouchent encore leurs tableaux à l’atelier. D’une sensibilité encore romantique, les paysages gagnent progressivement en clarté, en vigueur et en liberté d’exécution.