L’estuaire de la Seine, l’invention d’un paysage

À côté d’une nature prodigue en effets variés ou d’une nature domestiquée, l’estuaire de la Seine fournit aux représentants de la « nouvelle peinture », des sujets liés à la vie moderne et à l’activité urbaine. Axe de communication majeur entre Paris et l’océan atlantique, la Seine dans sa partie inférieure revêt un aspect industriel et commercial qui s’incarne dans ses deux grands ports, Rouen et Le Havre. Nombreux sont les artistes à arpenter leurs quais grouillants d’activités. Dans cette atmosphère changeante des ports fluviaux et maritimes dont ils excellent à rendre les variations lumineuses, les peintres jouent des effets de brume naturelle et des fumées des cheminées des vapeurs qui commencent à supplanter les grands navires à voiles. Au Havre, en 1905, Maxime Maufra peint les premiers transatlantiques aux massives cheminées rouges, côtoyant dans le port, les traditionnels bateaux de pêche.
 
Fasciné par le motif portuaire, Boudin ne cessera d’y revenir tout au long de sa carrière. Des peintures lumineuses à la facture soignée de ses débuts ou de celles d’un Lapostolet ou d’un Lépine, les paysages gagnent progressivement en légèreté d’exécution, liberté de touche, sous l’impulsion des impressionnistes, au premier rang desquels Monet qui peint, en 1873, son fameux Impression soleil levant, dans le port du Havre. Mais la Seine prêtera également son cadre à d’autres recherches picturales avec le néo-impressionnisme, comme en témoigne le Bord de Seine, Croisset de Lemaître, l’un des représentants de l’École de Rouen, avec la surface du fleuve, toute vibrante de petites touches de couleurs, mais qui n’ose pas encore pousser jusqu’au bout le principe de la division du ton. Progressivement, la touche s’enhardit, s’élargit, la couleur monte en puissance, annonçant une autre révolution picturale, le fauvisme.