L’estuaire de la Seine, l’invention d’un paysage

Comme Eugène Boudin au XIXe siècle, Raoul Dufy est le peintre du XXe siècle dont la figure est la plus liée au paysage de l’estuaire de la Seine. Né au Havre en 1877, il se forme à l’école municipale des beaux-arts avant de recevoir l’aide de la mairie pour poursuivre sa formation à Paris. Dufy gardera tout au long de sa vie une vive reconnaissance au Havre (sa femme lèguera d’ailleurs 70 de ses œuvres au musée en signe de remerciement posthume), et des attaches avec sa famille restée là-bas. Le Havre, Sainte-Adresse, les petites cités balnéaires de l’embouchure de la Seine lui fourniront de nombreux sujets : les quais, les plages, estacades, régates, courses hippiques… Il y puisera son inspiration depuis ses premiers essais influencés par les impressionnistes, jusqu’à sa période de maturité en passant par sa période fauve ou cézanienne, sans oublier ses œuvres décoratives (céramiques, textile…).
 
Fidèle à certains motifs, Dufy peut les reprendre indéfiniment, modulant, combinant certains d’entre eux (dans les paysages : les baigneuses, promeneurs, pêcheurs de crevettes, bateaux…), créant de manière non intentionnelle des séries. La baigneuse sur la plage de Sainte-Adresse a ainsi été déclinée de nombreuses fois.

L’attachement de Dufy au Havre se manifeste une dernière fois au travers de sa série des « Cargos noirs ». Malade et depuis le sud de la France où il vit désormais, il peint encore la baie du Havre et de Sainte-Adresse avec un grand cargo noir entrant dans le port. « Le soleil au zénith, c’est le noir : on est ébloui, en face on ne voit plus rien ». Ébloui jusqu’à l’aveuglement par la lumière qu’il a si longtemps cherchée, Dufy peint de noir ce cargo, comme le funèbre messager de la mort qui viendra bientôt.