Normandie
« Nous serons très heureux de pouvoir chanter bientôt : je vais revoir ma Normandie… » [24 mars 1877]. Né à Honfleur, élevé au Havre, Boudin est resté Normand de cœur. A l’occasion de ses voyages, il juge à l’aune de la Normandie, et celle-ci l’emporte toujours sur ses rivales. Toutefois, Boudin entretient des relations complexes avec sa région natale.
Il passe chaque été à Trouville. Il s’y plaît tant qu’y séjournent ses amis peintres parisiens. Une fois ceux-ci partis : « nous sommes à nous morfondre ici & il est grand temps que nous allions au milieu des gens civilisés […] au moins nous y trouverons quelques visages sympathiques & nous pourrons échanger quelques paroles avec des gens aimables. Ici nous sommes réduits à nous regarder tous deux comme ces chiens de faïence que les pécheux [sic] affectionnent si fort & qu’ils placent à chaque coin de leur cheminée. Nous nous faïençons en un mot… » [Trouville, 3 novembre 1879].
Sa correspondance le montre ajournant sans cesse des projets de passage à Honfleur ou au Havre. Parfois, il entreprend « un cabotage » : Saint-Vaast, Cherbourg, Saint-Cénery. De l’autre côté de l’estuaire : Sainte-Adresse, Étretat, Fécamp et Dieppe. En remontant la Seine : Quillebeuf, Caudebec et Rouen. Mais il ne faut pas l’imaginer sillonnant chaque été la Normandie. Ces voyages restent exceptionnels.
Boudin répond aussi, après s’être fait beaucoup prier, à l’invitation d’amis et collectionneurs : Jacquette à Fervaques ou Fortin à Vimoutiers. Les premiers froids venus, il retourne à Paris, d’où il ne manque jamais de critiquer ses confrères qui ont choisi de faire carrière en Normandie : « On n'invente pas un art tout seul, dans un coin de province, sans critique, sans moyens de comparaison » [à son frère, 20 avril 1868, collection particulière].
Lorsque le peintre Alexandre Dubourg (1821-1891) décide de créer un musée à Honfleur, Boudin ne cache pas son mépris pour ce projet : « Il s’est fourré dans la tête de perdre son temps en établissant un musée à Honfleur ! Ce garçon-là rétrécit trop son domaine » [26 mars 1868].
Honfleur est, pour Boudin, synonyme de misère morale et financière. Ses carnets intimes le prouvent. A la fin de sa vie, la nostalgie aidant, il contribuera à construire la légende de Saint-Siméon. Il fera une ultime campagne de peinture à Honfleur, quelques mois avant sa mort. Si Boudin se fait transporter à Deauville pour mourir, il veut être enterré au cimetière Saint-Vincent de Montmartre, aux côtés de son épouse, qui était Bretonne.
Les musées de Normandie ne se sont pas empressés d’acquérir des œuvres de l’enfant du pays. Si le Havre lui achète sa première œuvre de Salon en 1860, c’est à petit prix et seule la Ville d’Évreux achète à l’artiste, en 1888, une œuvre importante. À sa mort, Boudin lègue au musée de sa ville natale un lot important d’œuvres intimes. Quant à la Ville du Havre, il lui laisse chichement deux œuvres, en contrepartie de la bourse d’études reçue ses débuts. Il répond ainsi au désintérêt permanent des édiles havrais pour son œuvre.
C’est finalement au frère de l’artiste, et à l’exécuteur testamentaire de celui-ci que le musée du Havre doit sa riche collection d’œuvres de Boudin. Le legs Jacquette, cette même année 1898, palliera l’absence d’œuvres de Boudin dans plusieurs musées de la région, et non des moindres.
Dernier paradoxe, le nom de Boudin est aujourd’hui indissociable des scènes de plage. Ces œuvres qui nous semblent la quintessence de la Normandie ne rencontrèrent que l’indifférence et se révélèrent un échec économique. C’est grâce aux marines exécutées en Normandie, mais aussi à Bordeaux, dans le Nord, aux Pays-Bas, en Bretagne, dans le Midi ou à Venise, que, de son vivant, Boudin obtint une tardive reconnaissance. Il n’en demeure pas moins que nul n’a mieux traduit les effets lumineux fugitifs de l’estuaire de la Seine.
Sauf mention contraire dans le texte, toutes les citations sont extraites de la correspondance d’Eugène Boudin conservée à l’Institut national d'histoire de l'art (INHA).
Il passe chaque été à Trouville. Il s’y plaît tant qu’y séjournent ses amis peintres parisiens. Une fois ceux-ci partis : « nous sommes à nous morfondre ici & il est grand temps que nous allions au milieu des gens civilisés […] au moins nous y trouverons quelques visages sympathiques & nous pourrons échanger quelques paroles avec des gens aimables. Ici nous sommes réduits à nous regarder tous deux comme ces chiens de faïence que les pécheux [sic] affectionnent si fort & qu’ils placent à chaque coin de leur cheminée. Nous nous faïençons en un mot… » [Trouville, 3 novembre 1879].
Sa correspondance le montre ajournant sans cesse des projets de passage à Honfleur ou au Havre. Parfois, il entreprend « un cabotage » : Saint-Vaast, Cherbourg, Saint-Cénery. De l’autre côté de l’estuaire : Sainte-Adresse, Étretat, Fécamp et Dieppe. En remontant la Seine : Quillebeuf, Caudebec et Rouen. Mais il ne faut pas l’imaginer sillonnant chaque été la Normandie. Ces voyages restent exceptionnels.
Boudin répond aussi, après s’être fait beaucoup prier, à l’invitation d’amis et collectionneurs : Jacquette à Fervaques ou Fortin à Vimoutiers. Les premiers froids venus, il retourne à Paris, d’où il ne manque jamais de critiquer ses confrères qui ont choisi de faire carrière en Normandie : « On n'invente pas un art tout seul, dans un coin de province, sans critique, sans moyens de comparaison » [à son frère, 20 avril 1868, collection particulière].
Lorsque le peintre Alexandre Dubourg (1821-1891) décide de créer un musée à Honfleur, Boudin ne cache pas son mépris pour ce projet : « Il s’est fourré dans la tête de perdre son temps en établissant un musée à Honfleur ! Ce garçon-là rétrécit trop son domaine » [26 mars 1868].
Honfleur est, pour Boudin, synonyme de misère morale et financière. Ses carnets intimes le prouvent. A la fin de sa vie, la nostalgie aidant, il contribuera à construire la légende de Saint-Siméon. Il fera une ultime campagne de peinture à Honfleur, quelques mois avant sa mort. Si Boudin se fait transporter à Deauville pour mourir, il veut être enterré au cimetière Saint-Vincent de Montmartre, aux côtés de son épouse, qui était Bretonne.
Les musées de Normandie ne se sont pas empressés d’acquérir des œuvres de l’enfant du pays. Si le Havre lui achète sa première œuvre de Salon en 1860, c’est à petit prix et seule la Ville d’Évreux achète à l’artiste, en 1888, une œuvre importante. À sa mort, Boudin lègue au musée de sa ville natale un lot important d’œuvres intimes. Quant à la Ville du Havre, il lui laisse chichement deux œuvres, en contrepartie de la bourse d’études reçue ses débuts. Il répond ainsi au désintérêt permanent des édiles havrais pour son œuvre.
C’est finalement au frère de l’artiste, et à l’exécuteur testamentaire de celui-ci que le musée du Havre doit sa riche collection d’œuvres de Boudin. Le legs Jacquette, cette même année 1898, palliera l’absence d’œuvres de Boudin dans plusieurs musées de la région, et non des moindres.
Dernier paradoxe, le nom de Boudin est aujourd’hui indissociable des scènes de plage. Ces œuvres qui nous semblent la quintessence de la Normandie ne rencontrèrent que l’indifférence et se révélèrent un échec économique. C’est grâce aux marines exécutées en Normandie, mais aussi à Bordeaux, dans le Nord, aux Pays-Bas, en Bretagne, dans le Midi ou à Venise, que, de son vivant, Boudin obtint une tardive reconnaissance. Il n’en demeure pas moins que nul n’a mieux traduit les effets lumineux fugitifs de l’estuaire de la Seine.
Sauf mention contraire dans le texte, toutes les citations sont extraites de la correspondance d’Eugène Boudin conservée à l’Institut national d'histoire de l'art (INHA).
Eugène BOUDIN (1824-1898), Concert au casino de Deauville, 1865, huile sur toile, 41,7 x 73 cm. Collection of Mr. and Mrs. Paul Mellon. © Washington, National Gallery of Art
Eugène BOUDIN (1824-1898), Falaises à Étretat, 1890-1891, huile sur bois, 37,5 x 46,2 cm. © MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn
Eugène BOUDIN (1824-1898), La Tour François-Ier au Havre, 1852, huile sur bois, 16 x 38,7 cm. © MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn
Eugène BOUDIN (1824-1898), Vue de Caudebec-en-Caux, 1889, huile sur toile, 36 x 58 cm. © MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn
Eugène BOUDIN (1824-1898), Falaises et barques jaunes à Étretat, 1890-1891, huile sur bois, 37,4 x 55 cm. © MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn
Eugène BOUDIN (1824-1898), Le Port de Honfleur, 1897, huile sur toile, 46 x 66 cm. © MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn
Eugène BOUDIN (1824-1898), Cabanes de pêcheurs à Étretat, ca. 1851-1855, crayon noir sur papier vélin, 17,5 x 27 cm. © MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn
Publications
Eugène Boudin, l’atelier de la lumière
Catalogue d’exposition — Le Havre, musée d’art moderne André Malraux, 16 avril 2016 – 26 septembre 2016
Auteurs : Anne-Marie Bergeret-Gourbin, Virginie Delcourt, Annette Haudiquet, Géraldine Lefebvre, Laurent Manœuvre, Sylvie Patry
Édition : Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2016, 240 p.
ISBN 978-27118-6314-3
Eugène Boudin, lettres à Ferdinand Martin (1861-1870)
Auteurs : Isolde Pludermacher, Laurent Manœuvre
Édition : Société des amis du musée Eugène Boudin, Honfleur, 2011, 264 p.
ISBN 978-2-902985-17-3
Cet ouvrage est disponible sur commande auprès de : la Société des Amis du Musée Eugène Boudin (SAMEB), BP 80049, 14602 Honfleur Cedex. Règlement uniquement par chèque à l'ordre de la SAMEB (25 € + 5,60 € de frais de port).
Catalogue d’exposition — Le Havre, musée d’art moderne André Malraux, 16 avril 2016 – 26 septembre 2016
Auteurs : Anne-Marie Bergeret-Gourbin, Virginie Delcourt, Annette Haudiquet, Géraldine Lefebvre, Laurent Manœuvre, Sylvie Patry
Édition : Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2016, 240 p.
ISBN 978-27118-6314-3
Eugène Boudin, lettres à Ferdinand Martin (1861-1870)
Auteurs : Isolde Pludermacher, Laurent Manœuvre
Édition : Société des amis du musée Eugène Boudin, Honfleur, 2011, 264 p.
ISBN 978-2-902985-17-3
Cet ouvrage est disponible sur commande auprès de : la Société des Amis du Musée Eugène Boudin (SAMEB), BP 80049, 14602 Honfleur Cedex. Règlement uniquement par chèque à l'ordre de la SAMEB (25 € + 5,60 € de frais de port).