Critiques d'art

Baudelaire est le premier à distinguer Boudin et à lui consacrer un long paragraphe dans son compte rendu de Salon, en 1859. Le poète venait d’être récemment condamné pour « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs », après la publication des Fleurs du mal. Cette réputation sulfureuse, ainsi que la phrase : « toutes ces splendeurs me montèrent au cerveau comme une boisson capiteuse ou comme l'éloquence de l'opium », ne pouvaient qu’avoir un effet rebutant auprès de la clientèle bourgeoise recherchée par Boudin. Néanmoins, Baudelaire inaugure ainsi une série de textes en faveur de Boudin, publiés par des critiques d’avant-garde.
 
Édouard MANET (1832-1883), Emile Zola, huile sur toile, 146,5 x 114 cm. Paris, musée d’Orsay. © RMN-Grand Palais / Hervé Lewandowski
Édouard MANET (1832-1883), Emile Zola, huile sur toile, 146,5 x 114 cm. Paris, musée d’Orsay. © RMN-Grand Palais / Hervé Lewandowski
Deux générations de défenseurs vont se succéder du vivant de Boudin. La première est représentée par Jules-Antoine Castagnary (1830-1888) et Louis Edmond Duranty (1833-1880), tous deux ardents défenseurs du réalisme, par Philippe Burty (1830-1890), Émile Zola (1840-1902) et Ernest Hoschedé (1837-1891), zélateurs de l’impressionnisme naissant. La seconde génération comprend Louis de Fourcaud (1851-1914) partisan de la représentation du plein air et de la vie moderne, Gustave Geffroy (1855-1926) le futur biographe officiel de Monet, le graveur Félix Buhot (1847-1898), Félix Fénéon (1861-1941) très engagé dans le mouvement anarchiste ou Huysmans (1848-1907), tour à tour naturaliste et décadent.

Les critiques professionnels, tel le très influent Albert Wolff (1835-1891), ignoreront longtemps Boudin. En 1879, celui-ci constate : « On m’a consacré quelques articles qui m’ont surpris dans les avis sur le Salon dernier. Je ne suis pas habitué à ces gâteries du public écrivain ». Un article de Wolff, publié en 1881 dans « Le Figaro », a sans doute été le facteur qui a déclenché la reconnaissance officielle de Boudin : « La Meuse, la meilleure marine du salon ! / comment peut-il se faire que l’artiste qui a signé tant de jolies choses, et qui, dans ce genre, a fait école, soit encore parmi les non-exempts, c’est à ne pas croire ! ». La reconnaissance venue, ces articles deviennent moins exceptionnels : « On m’a exposé très bien au Champ-de-Mars. Je suis l’objet d’un certain nombre d’articles élogieux ou critiques selon le goût ou l’opinion des journalistes… mais je ne passe pas inaperçu », constate Boudin en 1890.

Après la mort de Boudin, deux apôtres de l’art moderne, Roger Marx (1859-1913) et Arsène Alexandre (1859-1937), mais aussi Guillaume Apollinaire (1880-1918) continueront d’honorer sa mémoire, rappelant qu’il fut un initiateur des avant-gardes. Si ce titre ne lui est jamais dénié, son art modéré ne provoque aucune des turbulences qui environneront la production d’Édouard Manet (1832-1883) ou de Claude Monet (1840-1926). Dans l’une de ses nouvelles, intitulée Le peintre Louis Martin (1872), Duranty met en scène des personnages de fiction et d’autres réels, tels Manet, Corot, Millet, Fantin, Degas, Courbet ou Boudin. Il qualifie ce dernier de « simple, sagace, consciencieux esprit qui met un sentiment dans ses notes grises, fines, justes ».