Nature morte

Pour gagner sa vie, Boudin exécute au cours des années 1850 divers genres d’œuvres, et notamment des « tableaux de salle à manger ». Sous cette appellation, il évoque les natures mortes destinées aux intérieurs bourgeois. Sur un fond généralement sombre, il représente quelques objets quotidiens parmi lesquels il dispose fruits, légumes, gibier ou fruits de mer. Il cherche à rendre la qualité des matières.

Trente ans plus tard, lorsque son ami Ferdinand Martin peindra des natures mortes en amateur, Boudin lui écrira : « Toi tu médites les valeurs et tu vas te coucher le soir - nerveux, impatient de voir paraître le jour pour reprendre la pomme ébauchée, lui donner son velouté, sa transparence ! » [10 avril 1883]. Dans cette même lettre, Boudin ajoutera : « Je suppose que ce bon Hamelin te prodigue ses conseils et qu’il te parle de Chardin à tout propos ! » Le peintre Gustave Hamelin (1809-1895) avait enseigné la technique des valeurs colorées à Boudin, technique brillamment mise en œuvre par Jean-Siméon Chardin (1699-1779).

La nature morte Tourteaux, homard et poissons (musée Eugène Boudin), peinte par Boudin, fait référence au chef d’œuvre de Chardin, Nature morte à la raie (musée du Louvre). Toutefois, c’est dans les représentations de fleurs que Boudin montre une délicatesse et une sensibilité qui font de lui l’un des meilleurs héritiers de la peinture française du XVIIIe siècle.

Les années au cours desquelles Boudin peint ces « tableaux de salle à manger » sont celles où il transmet son savoir à Claude Monet (1840-1926) : « tout le temps de mon séjour à Paris, qui dura quatre années, et qu’entrecoupèrent de fréquents voyages au Havre, c’est sur les conseils de Boudin que je me réglai » [propos rapporté par François Thiébault-Sisson, « Claude Monet : années d'épreuves », 1900]. Monet peindra toute sa vie des natures mortes.
 
Dans une lettre du 15 décembre 1864, Boudin écrit : « Le poisson est apporté tout luisant sur la planche du peintre et, grâce à sa célérité, il est servi le soir sur sa table. Ils mangent leurs modèles !... » Ceci témoigne de la rapidité d’exécution de Boudin, mais aussi du fait qu’il continue à peindre des natures mortes au cours des années 1860. Il remet alors en question le principe traditionnel de la lumière parcimonieuse et du fond sombre. Il peint des bouquets de fleurs, parfois avec des oiseaux et dans des paysages.

En 1869, il s’inspirera de certaines de ces compositions pour  réaliser les décorations du château de Bourdainville, près du Havre (aujourd’hui dispersées). Dans ces mêmes années, Boudin exécute de nombreuses études dans la poissonnerie de Trouville. Il s’emploie à traduire les nuances délicates des diverses espèces de poissons.
 
Les dernières natures mortes datent des années 1870. Sans doute sous l’influence d’Antoine Vollon, alors considéré comme l’un des principaux maîtres de ce genre, Boudin renoue avec les effets de clair-obscur. Mais l’aisance du pinceau lui permet de traiter les matières les plus délicates avec une remarquable légèreté.

Sauf mention contraire dans le texte, toutes les citations sont extraites de la correspondance d’Eugène Boudin conservée à l’Institut national d'histoire de l'art (INHA).