Dedans/dehors : incursions urbaines

Au MuMa, les ateliers pour les adultes sont l’occasion d’expérimentations variées. Dans le cadre de l’exposition « Comme une histoire… Le Havre », nous avions envie de proposer aux participants d’explorer la ville « autrement ». Stéphanie Boin, architecte, accompagnée de Stéphane Marie Néef, auteur, et de Jérôme Boyer, comédien, a répondu à notre envie, et concocté un atelier d’écriture à trois voix, atelier qui commença par une balade à travers un Havre balayé par des averses de neige. Retours multiples sur un atelier singulier.


 
La balade, par Stéphanie Boin. Photos : Jérôme Boyer

«Les secteurs d’une ville sont, à certains niveaux, lisibles. Mais le sens qu’ils ont eu pour nous, personnellement, est intransmissible, comme toute cette clandestinité de la vie privée, sur laquelle on ne possède jamais que des documents dérisoires.» Guy Debord
 
Un atelier sur l’architecture ? La ville ? J’avais envie de proposer autre chose que le dessin, la maquette, la photographie. Etre dans une expérience collective et intime, et non dans la transmission d’un quelconque savoir.

Alors oui, prendre le temps de s’arrêter, d’explorer nos sensations, émotions, provoquer des réminiscences d’autres architectures, d’autres villes vécues.

Se confronter aux grands espaces, aux vides, à la monumentalité, aux bruits. S’immerger dans les qualités sensibles des espaces habités, les ambiances feutrées des halls, la chaleur des matériaux et de leurs couleurs, leur sonorité. Public, privé, collectif, intime, ouvert, fermé. Dedans/dehors, incursions urbaines :

Rdv au café des Embruns, rue des sauveteurs

Odeurs de graillon, frites et tabac froid. Il fait très chaud. Le skaï rouge des banquettes un peu passé. Les habitués du PMU.

Déjeuner avec Marie, Stéphane et Jérôme. Pas très faim, ne pas en avoir l’air.

Sur l’ardoise, « Steak aché », on plaisante sur la lettre manquante : steak tâché, mâché, steak lâché, steak caché…

Nos pronoms arrivent les uns après les autres, un peu de gêne, on s’installe. Quelqu’un veut un café ? On se serre un peu autour des tables. On se détend.

C’est quoi votre rapport à l’écriture, à la lecture ? 

IL : Je suis bouquiniste. Je vends des livres, j’en lis énormément mais je n’écris jamais.

ELLE : Je suis une habituée des ateliers d’écriture. J’aime bien le partage avec les autres, les rencontres. L’écriture ça sert à ça aussi, se retrouver.

TU : Je suis professeur de français. On a une petite revue de poésie avec des amis. J’avais envie de rencontrer d’autres personnes pour échanger.

VOUS : Je suis étudiant. Je ne lis que des trucs scientifiques et de science-fiction. J’ai envie d’élargir ma culture générale.

ON : Je suis correspondante presse. J’aime parler, raconter les gens. J’essaie d’être fidèle à ce qu’ils sont dans ce que j’écris sur eux. C’est ma préoccupation. Là, j’ai envie d’écrire pour moi.

ILS : Je suis comédienne. J’écris pour le spectacle. J’aime faire parler les gens pour écrire sur eux, en faire la matière de mes spectacles. Ici, j’ai juste envie de lâcher prise.

NOUS : Je suis un grand lecteur, boulimique, même. Je lis de tout, tout le temps. J’ai des livres dans toutes les pièces de la maison, sauf la salle-de-bain. J’ai envie d’écrire pour moi, et pour ma ville, que j’aime.

JE : Je n’ai jamais fait d’atelier d’écriture. J’aime les romans. Je sais qu’avec le MuMa, on n’a pas besoin d’être spécialiste pour participer. Alors je me suis lancée, et me voilà.

CA : Je viens d’intégrer une agence de communication. Je suis passée du visuel au texte. L’écriture pour moi, ça se concrétise par les réseaux sociaux. J’avais envie de tester autre-chose.

ELLES : Moi aussi j’ai la pratique des ateliers d’écriture, comme ELLE. J’aime les polars. Je les adore même. J’ai besoin d’un cadre, de contraintes quand j’écris, c’est ce que recherche.

CELA : J’écris beaucoup dans le cadre de ma pratique professionnelle. Depuis quelques temps, j’essaie d’écrire pour moi. C’est une belle occasion de le faire.

Il commence à neiger, sur l’hippodrome de Saint Cloud aussi.
Distribution des carnets. On colle l’étiquette de son pronom/prénom sur la couverture. On s’habille chaudement et on sort. La neige et le vent. Un chapeau tombe dans une flaque, un parapluie se retourne.

A l’église Saint Joseph, vous avez dix minutes. On chuchote. Le basculement de la plaque métallique au pied du pilier Nord-ouest, je me fais avoir à chaque fois. Ça résonne, un peu déplacé dans ce silence imposé.

On continue. Rue Louis Brindeau. Nous suivons une dame et ses deux chiens qui jappent. Ils entrent chez le toiletteur de la rue Victor Hugo.

Rue Bernardin de Saint Pierre. Je sonne, Nadine m’ouvre. Cette entrée ! Double-niveau, double-sas. Attention à la marche. Les boites aux lettres sur la gauche.

Le plafond à caisson, les couleurs du béton, rose, gris, cendré, moucheté. La lumière. On n’ose pas trop toucher quand-même… Juste gravir quelques marches vers l’entresol.

Mais qu’est-ce que vous faites au juste ? On rassure : c’est le MuMa.

Il est l’heure, et il neige toujours, évidemment.

Ilot V41, j’aime bien cet endroit, souvenir de conversations téléphoniques. Un chantier en cours, le projet GENIUS. Attention ici la terre est classée ! Des pieux jaune et bleu autour du jardin central, un escalier qui se construit.

Je voulais sortir par la rue de la Villerhervé, sentir le courant d’air, les écharpes qui volent, cette résistance du vent quand il vous attrape. Mais la grille est fermée. Tant pis, on se contentera de la rue Victor Hugo. Place Perret. Direction le Volcan. C’est agréable de se faire promener, me dit ILS. Sans commentaires, sans savoir où l’on va.

Rue Racine, 6ème étage. Les courageux prennent la cage d’escalier. A quatre dans un ascenseur pour trois, 225 kgs maximum. Anne nous ouvre. Un café ? Un thé ? La porte coulissante dans la cuisine, elle est d’origine ? Et sinon c’est toujours aussi bien rangé chez vous ? On a frappé, CELA s’était perdue dans la cage d’escalier… Et il neige sur les halles centrales. Nous quittons Anne et son sourire.

La rue de Paris sous les arcades, à l’abri. Une pause devant la catène, un peu indécente dans ce froid. Une balade enneigée, je ne m’y attendais pas. L’heure approche, arrivée au MuMa. On s’installe dans la chaleur de l’atelier. C’est lumineux, plein de tâches de peinture. Comme Sofi. Sur le sol et le mobilier, les tabliers, les chiffons.

On trouve sa place. Et on commence à écrire.
 
Dedans/dehors © Jérôme Boyer

 
Billet de blog du lundi 23 avril 2018

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