Dans les coulisses du MuMa : la restauration des œuvres de Dufy

Pierre Jaillette nous explique son travail de restauration des œuvres de Raoul Dufy qui appartiennent au MuMa, et qui seront prochainement ré-accrochées lors de l’exposition Dufy au Havre qui ouvrira le 18 mai 2019.
Le restaurateur Pierre Jaillette travaillant sur une œuvre de Dufy. © MuMa Le Havre / Claire Palué
Le restaurateur Pierre Jaillette travaillant sur une œuvre de Dufy. © MuMa Le Havre / Claire Palué
MuMa : Quel est votre parcours ?
Pierre Jaillette : J’exerce parce que mon père était restaurateur. J’ai tout d’abord appris le métier chez lui. Je suis entré dans son atelier à 17 ans et à cette époque j’ai fait deux années dans une école privée de restauration à Paris. Ensuite j’ai travaillé quinze ans avec lui en tant que salarié, et au bout de quinze ans j’ai repris une formation continue à l’Institut National du Patrimoine spécialisée dans le support ; puis j’ai passé une licence et un master en préservation et conservation en biens culturels.

MuMa : Quelles sont les étapes d’une restauration ?
P.J. : On n’intervient pas toujours pour de la restauration. Il y a plusieurs étapes de « surveillance », de contrôle de l’état des œuvres, ce sont les constats d’états.
Il y a différents types de constats : on fait des constats d’état de suivi, pour voir si une collection reste en bon état de conservation, si elle supporte les conditions d’exposition, car il y a beaucoup de variations environnementales qui peuvent agir sur les œuvres. C’est une grande part du travail, faire des constats… Puis on refait des constats à chaque fois qu’on envisage une restauration.
Ensuite, d’après ce constat, on fait un diagnostic : c’est une discussion collégiale où l’on décide si oui ou non on intervient et comment on intervient. Sachant qu’on essaye toujours d’être minimalistes, surtout sur des œuvres importantes. Pour Dufy par exemple, j’ai constaté plusieurs fois une œuvre, mais dans le cadre de suivi. Pour cette exposition, on a fait un constat d’état beaucoup plus poussé qui nous a permis de voir que Dufy avait peint sur un support rentoilé.

MuMa : Il y a donc une double couche ?
P.J. : Oui il y a une double toile. C’est soit un réemploi, soit il a utilisé une toile qu’il avait déjà peinte mais il voulait la redimensionner… ces investigations peuvent être très intéressantes !
Le restaurateur Pierre Jaillette travaillant sur une œuvre de Dufy. © MuMa Le Havre / Claire Palué
Le restaurateur Pierre Jaillette travaillant sur une œuvre de Dufy. © MuMa Le Havre / Claire Palué
MuMa : Quelles sont les particularités d’une restauration de Dufy ?
P.J. : C’est très compliqué. Raoul Dufy est un artiste qui a remanié ses œuvres et qui aimait les superpositions de couches, la transparence… Il y a donc des motifs qui se superposent, ce qui est assez délicat.

MuMa : Combien d’œuvres de Dufy devez-vous restaurer ?
P.J. : « Restaurer » je ne sais pas, puisqu’on fait une différence entre la restauration fondamentale et ce qu’on appelle dans le jargon, le bichonnage. Il y a beaucoup de bichonnages et quelques restaurations qui ne sont pas si fondamentales, c’est plus de l’optimisation en vue d’exposer les œuvres. Il va y avoir une vingtaine d’interventions… et une soixantaine de constats. Toutes les œuvres sont constatées à partir du moment où elles sont exposées. Mais la collection du MuMa est en assez bon état.

MuMa : Je suppose que ça dépend de la dimension de la toile, mais  combien de temps prend une restauration ? Pour les Dufy par exemple ?
P.J. : Sur les œuvres de Dufy sur lesquelles je travaille actuellement, entre un et deux jours d’intervention par tableau. Après il y a une œuvre qui viendra en atelier où il y a vraiment une très grosse restauration et là il y a un mois d’atelier. Donc c’est très variable.

MuMa : A quel point intervenez-vous sur une œuvre ?
P.J. : Par définition une restauration doit être réversible. Ce qui veut dire que dans l’absolu, elle peut bouger. Il y a toujours un moyen de réversibilité, ça peut être l’humidité, la chaleur et parfois il arrive que les conditions environnementales correspondent au mode de réversibilité. On a donc des restaurations qui deviennent un petit peu moins solides à un moment donné. Les restaurations que je fais sont beaucoup liées à ça, des restaurations qui s’affaiblissent et qu’il faut contrôler.
On intervient quand l’œuvre est en péril uniquement et l’idée première c’est de stabiliser. Donc on intervient beaucoup plus sur la structure et la matière que sur l’esthétique.
Si l’on voulait aller plus loin, toutes les altérations qui se produisent sur une œuvre font partie de son historique. En soit, on pourrait conserver une trace des altérations pour ne pas dénaturer l’histoire de l’œuvre. Cependant aujourd’hui, les musées font le choix de conserver l’état d’origine des œuvres. Dufy par exemple ne vernissait jamais ses tableaux, ce qui fait qu’on a des tableaux qui ont des reflets différents, il y a ce qu’on appelle des « embus », certaines couleurs brillantes, d’autres mates,  ce qui crée une surface assez complexe. Remettre un tableau « à neuf » voudrait dire le nettoyer, le vernir ce qui dénature l’aspect qu’a voulu l’artiste.… C’est une grande question.

MuMa : Vous devez vous mettre dans la situation de l’artiste en imaginant ce qu’il aurait préféré ?
P. J. : Surtout pas, en tant que restaurateur il faut rester au stade de la matière, et on a vraiment des problèmes à résoudre : de cohésion au sein de la peinture,  d’adhérence entre les différentes couches, c’est très très technique… Nous n’avons pas une démarche esthétique du tout. S’il y a une lacune à reconstituer, on prend comme référence la périphérie de la lacune. À moins qu’un tableau soit très endommagé – et dans ce cas-là il y a une vision finale à rééquilibrer – on résout des problèmes qui sont assez détaillés et pointus.

Interview réalisée par Berivan Ozcan,
apprentie au service numérique au MuMa Le Havre
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Billet de blog du jeudi 18 avril 2019

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